L’originalité de l’école de médecine de Montpellier

« Comme HIPPOCRATE, les médecins de Montpellier sont de COS », en une devise est résumée, pour les médecins de Montpellier, la proximité culturelle et historique toujours revendiquée par l’école médicale montpelliéraine (HIPPOCRATE est né dans l’île grecque de Cos). Nous allons essayer de rappeler dans ces quelques lignes les spécificités des apports et sources théoriques, philosophiques et culturelles qui ont construit la réputation de cette faculté.

Géographiquement, Montpellier est difficile à situer. Bien sûr elle est au sud de la France mais elle n’est pas au bord de l’eau et donc pas soumise uniquement à des influences marchandes. La ville est également suffisamment éloignée des Cévennes pour rester grandement exposée aux influences des grandes voies de circulation qui traversent la région languedocienne (chemin de Saint Jacques de Compostelle, lien Italie Espagne). La ville n’est pas romaine comme Nîmes ou fondée sur une forte culture agricole comme Béziers. Elle a donc toujours construit des spécificités en rapport avec la culture, la réflexion, les échanges et les influences entre les civilisations méditerranéennes. Cette caractéristique est constante depuis dix siècles et s’exprime particulièrement à travers la production médicale de cette école.

L’histoire :

Nous avons rappelé combien HIPPOCRATE nous rassemble dans l’école médicale de Montpellier. Ce médecin du Ve siècle avant JC est l’inventeur de l’éthique en médecine et avec elle des comportements de tolérance mais également inventeur du serment et donc de la fidélité aux anciens médecins qui ont réfléchi sur la condition de la vie. Déjà HIPPOCRATE, non seulement avait construit une pensée philosophique médicale globale, mais avait déjà réussi à intégrer les apports de la médecine égyptienne. Ces liens à travers les cultures du passé acceptées comme un moyen de progrès, grâce aux échanges autour de la Méditerranée, ont été la base du fonctionnement de ce qui sera 15 siècles plus tard l’école médicale de Montpellier. C’est dans ce sens que la fidélité de cette école à la culture hellénistique ne s’est jamais démentie et qu’à toutes les époques, une ouverture épistémologique  originale, caractérise cette pensée médicale.

Comment cette pensée est-elle parvenue à Montpellier ? Les textes du corpus hippocratique écris au début en langue ionienne furent avec les textes du deuxième grand médecin grec Galien, en 150 après JC, traduis et véhiculés par les savants arabes à travers la péninsule ibérique pour constituer le ferment des connaissances des futures écoles médicales européennes. Sans cette action des médecins ibériques puis juifs( trois générations de la famille  TIBBON autour  de 1120 à 1200) , les pensées des premiers médecins de l’antiquité coururent le risque de se perdre. En effet, durant 10 siècles, l’emprise théologique de la chrétienté a failli entraîner l’oubli d’une orientation plus laïque de la pensée médicale. A cette époque, et durant tout le moyen âge, la réflexion médicale n’est centrée que sur la théologie de la compensation (les maladies ne sont le fait que de fautes de l’homme qui paye la faute originelle) et le rapport de l’homme à Dieu et à son salut de l’âme. Pour sortir de cet oubli, Salerne et Bologne ont été les premières villes en Italie à réinventer les textes antiques. Montpellier, ville d’échange et de passage, à peine un siècle après sa création, dès 1137 voit apparaître des groupes de médecins qui se réunissent en école avec déjà la notion que tout érudit d’où qu’il vienne, juif, arabe, du Sud ou du Nord de l’Europe pouvait, s’il apporte quelques sciences, être accueilli à l’intérieur de cet embryon d’école de médecine. Rapidement l’autorité papale officialise la création en 1220 de cette Université Médicale.

Bien sûr le fonctionnement de l’enseignement médical à cette époque est fondé sur l’exégèse des textes antiques. Les contemporains de cette renaissance de l’école médicale de Montpellier sont les grands médecins arabes . AVERROES en 1126 sera célèbre par son « De la sensation et des sens » commentaire des pensées d’ARISTOTE mais également de médecins Persans AVICENNE auteur du célèbre CANON de la médecine, poème en 1300 vers traduits de l’Arabe au latin. Un peu plus tard, il faut citer également le médecin juif célèbre Moïse MAIMONIDE en 1138 exilé au Caire et célèbre pour son traité sur l’asthme.

 

L’originalité de la démarche montpelliéraine

Deux courants épistémologiques vont alors émerger : un courant scientifique rationnel qui s’extrait progressivement de la superstition et qui va s’épanouir jusqu’au XVIe siècle avec DESCARTES entérinant la séparation corps et âme. Cette pensée scientifique au sens moderne écrit à l’époque « A condition expérimentale donnée c’est toujours ou jamais qu’un phénomène apparaît ». Ceci va entraîner un succès grandissant après MAGENDI et jusqu’à Claude BERNARD, fondant la valeur de toutes les écoles médicales de l’occident jusqu’à nos jours. Cette vision de l’animal machine  remplace le dogme chrétien par un autre dogme parfois aussi intolérant, centré sur ce qu’on pourrait appeler un matério-centrisme avec exclusion de toute autre analyse de pensée médicale.

Cette puissance de la méthode scientifique naissante était peut-être le seul moyen de s’extraire du théo-centrisme qui avait eu cours pendant les dix premiers siècles de notre aire. Mais si toutes les écoles médicales occidentales adoptent avec succès cette pensée, une école résiste, un village presque et ceci dès le début du XVIIIème siècle, c’est l’école de médecine de Montpellier. Celle-ci, en effet, semble vouloir défendre le courant empiriste et un retour de la pensée hippocratique. Mais quel est le principe de cette deuxième pensée médicale épistémologique?

Revenons à sa source pour montrer qu’elle a toujours existé.

En Grèce, les médecins sont à la fois près du temple grec et éloignés. Les Dieux grecs sont empreints des faiblesses humaines. Ainsi, les médecins discourrant sur la condition humaine pouvaient sans interdit se pencher sur les problèmes de l’homme (ceci est peut-être le secret du miracle grec). Grâce à cette vision humaine de leur Dieux, ils pouvaient sans préjuger, étudier les malades et les maladies en dehors de l’action supposée de forces transcendantales, sur la condition humaine. Ainsi ils se mirent à des descriptions très complètes de l’homme malade. Ces descriptions « périodentes » rapportent le particulier de chaque cas. Sont valorisés l’histoire de la maladie, la connexion au climat, le pronostic, les régimes et ces médecins arrivent donc à la conclusion qu’il faut observer les équilibres dynamiques du corps humain qui constituent en fait la santé alors que la rupture de ces équilibres du fait du monde extérieur ou du comportement du malade amène  la maladie. Cette conception est surmontée par l’éthique c’est-à-dire une très grande tolérance, une ouverture d’esprit qui fait qu’aucune des notions du contexte du malade et de son environnement ne doit s’imposer totalement sur les autres. C’est là l’origine du grand respect de la clinique et de l’observation et qui évite tout dogmatisme. C’est la raison pour laquelle l’école de Montpellier a semble-t-il opté toujours pour cette pensée afin d’éviter deux erreurs principales, la première, penser que le tout physique chimique ou mathématique pouvait expliquer l’homme comme le soutiendra DESCARTES et inversement que le tout animiste était seul à porter la vérité sur la compréhension du vivants.

 

Les fondateurs de l’école vitaliste médicale de Montpellier.

C’est alors qu’apparaît Théophile de BORDEU (1722-1776), grand ami de DIDEROT qui le met en scène dans « le rêve de d’Alembert », médecin de Montpellier puis de Paris où il influencera BICHAT (inventeur de  la notion de tissus). La pensée de BORDEU peut se résumer à l’aphorisme « Je sens donc je suis ». C’est en effet l’éloge de la sensibilité, de la perception qui pour ce médecin semble majeur dans la compréhension des équilibres du vivant. Cette pensée va être affinée par Paul Joseph BARTHEZ à la même époque et qui précise la doctrine qui sera plus tard nommée vitaliste. En effet, selon BARTHEZ, pour d’expliquer le vivant, la physique et la chimie ne sont pas suffisantes et il pose pour principe qu’il existe pour comprendre ce vivant quelque chose qui n’est pas Dieu mais qui serait aussi scientifique qu’est la gravité universelle pour la matière. Cette hypothèse, est nommée principe vital d’où le début de cette pensée épistémologique médicale originale qui s’appelle le Vitalisme. A cette époque, introduire cette hypothèse à un moment où les théologiens sont très réticents à abandonner les explications théologiques de la vie, était à la fois courageux et porteur de sens. En effet, cette hypothèse est surtout scientifique. Elle a pour conséquence l’ouverture de grands chapitres de réflexion sur la santé, comme la notion de probabilité dans l’évolution des maladies, la notion d’autorégulation et la notion de gestion des systèmes complexes( c’est là sa modernité). BARTHEZ signale que face à un processus biologique, une cause plus une autre cause donne souvent cet effet, en fonction de l’interaction du milieu sur le principe vital. On voit là, la finesse de la description de l’humain qui s’oppose en partie à la grande efficacité mais rigidité de la méthode scientifique exclusive qui dit que : une cause plus une autre cause donne toujours cet effet, ce que défendait Claude BERNARD avec conviction et intransigeance.

Il est à noter que pendant toute la fin du XVIIIe et durant le XIXe siècle, ces deux écoles épistémologiques médicales allaient s’opposer dans des échanges épistolaires d’une violence rare. Ce principe vital n’était pas défini avec précision mais il permettait d’intégrer les déterminants sociaux, l’interaction du malade avec ses proches, voire même rappeler une autre hypothèse féconde plus tardive, celle du Moi et de l’inconscient. Point n’était utile de définir cet ELAN VITAL , puisque seul l’étude de ces effets contait.  Au XIXe siècle, cette culture vitaliste amène le médecin LORDAT à introduire justement l’importance de l’anthropologie dans la compréhension de la maladie et de son traitement.

Bien sûr, cette école de pensée vitaliste, à partir de 1900 a disparu de l’enseignement au profit de l’école de pensée cartésienne défendue par Paris. Cet échec entériné au début du XX e siècle est peut-être regrettable parce qu’il était le signe de l’abandon de  la notion du médecin honnête homme et du médecin philosophe qui souvent nous manque actuellement dans la compréhension de l’homme malade. Cette vision humaniste de la philosophie médicale a amené l’école de médecine de Montpellier à valoriser la sémiologie, le regard, l’observation les particularismes et vous visiterez avec étonnement  le musée d’anatomie et sa collection de momies égyptiennes, d’anomalies morphologiques congénitales, de moulages de cire et de préparations de dissections. Cette pensée vitaliste a toujours respecté l’esprit de finesse, en témoigne la présence à quelques mètres d’ici du musée ATGER,  remarquable collection de dessins de l’école italienne (VERONESE) et de dessins de FRAGONARD. L’art et l’unique font parti de cette épistémologie médicale vitaliste .

Depuis toujours, l’école de médecine de Montpellier possède une bibliothèque où de nombreux livres des philosophes de l’antiquité traduits sont disponibles pour les étudiants de cette ECOLE ROYALE DE MEDECINE. Plus de 100000 ouvrages datant d’avant 1830 sont conservés :des traductions du Coran, des livres philosophiques et toutes les thèses des grands médecins ayant obtenu leur diplôme à Montpellier   (Michel de Notre Dame dit NOSTRADAMUS,  Théophraste RENAUDOT, François  RABELAIS).

Le jardin botanique créé en 1592 par Pierre Richer de BELLEVAL montrait également combien les médecins de cette école vitaliste étaient soucieux de comprendre le monde vivant, l’interaction entre les plantes médicinales et la santé de l’homme . Ils ont donc fait progresser en même temps que la recherche médicale, la science botanique qui constitue un des piliers de l’enseignement à Montpellier à ces époques. ( d’où l’extraordinaire développement de l’agronomie méditerranéenne et tropicale)

Enfin, cette école très tôt ne s’est pas coupée de la réflexion spirituelle au moins à cause de la proximité avec la cathédrale Saint-Pierre qui fait que dans la tradition chaque médecin ayant obtenu le diplôme dans cette faculté est également diacre c’est-à-dire le plus haut poste laïque dans la hiérarchie catholique.

En conclusion,

je rappellerai une anecdote que l’on rapporte à François BOISSIER de SAUVAGES, grand médecin vitaliste qui, en 1742, écrivait déjà à propos de la douleur :  « il existe des gens se plaignant de la gravelle (colique néphrétique) et des gens se plaignant de douleurs de la gangrène, mais je rencontre aussi beaucoup d’hommes se plaignant fortement et pendant longtemps, sans qu’on comprenne la cause, j’appellerai ces hommes, porteurs de la Maladie Douloureuse Chronique ». On voit combien nos ancêtres et notamment HIPPOCRATE nous ont laissés des outils nous permettant d’éviter les erreurs, d’anticiper la compréhension des problèmes et de gérer surtout sans dogmatisme la recherche sur l’amélioration de la santé de l’homme par une approche anthropologique globale, c’est-à-dire bio psychosociale, en un mot hippocratique.