Chercheurs, médecins, enseignants, il faut savoir critiquer certains de nos comportements avant que d’autres ou même notre conscience ne le fasse. Ces réflexions touchent aux tenants et aux aboutissants de la recherche médicale.

 

I – DES MOTIVATIONS PEU GLORIEUSES

 

Une recherche fondée sur une motivation éloignée de l’idée de trouver est peu glorieuse.

 

                a – Banalités ordinaires

 

Le chercheur exclusif pour masquer la grande difficulté de réaliser 100 % de son activité à ce travail, utilise plusieurs déviances. La première est de remplir un programme de recherche avec les briques de connaissance déjà utilisées mais réagencées différemment. La deuxième est de devenir censeur, organisateur, coordonnateur, c’est-à-dire ne plus chercher qu’à dominer la recherche qu’il a quittée. Son rôle ne vise qu’à chercher à faire chercher les autres chercheurs.

 

                b – Les vices des novices

 

Trois types de chercheurs en herbe sont rencontrés.

Le premier veut briller rapidement et choisit une recherche où la facilité, la médiatisation, la polémique domine. Souvent il publie des résultats forcés, aidés, pour qu’ils paraissent une découverte. Il reprend des travaux anciens, les reformule de façon brillante comme avec un coup de vernis neuf qui mettrait quelques années pour se craqueler et laisser apparaître la rouille.

Le deuxième veut se soigner par l’acte de chercher, il n’a pas pour but premier la découverte. Son être s’équilibre quand il passe 24 h/24 corps et esprit à cette passion thérapeutique : la recherche. La cohérence interne de sa vie ne s’articule qu’autour de la complexité inextricable de sa voie de recherche. Aboutir est décevant et angoissant car risque de ralentir sa thérapie. Il est respecté car il n’y a que lui qui comprend ce qu’il fait.

Le troisième personnage est lucide, donc peu productif en travaux. Son cerveau sait voir les incohérences, les impasses, les dangers et les inutilités, les faussetés de tous les protocoles qu’il est amené à entamer. Il est souvent cassé par ses deux collègues précédents tant il les gêne dans la volonté de briller pour le premier, que dans la spirale infernale pour le second.

 

                c – En médecine, c’est souvent la course à l’agrégation

En 5 ans, il faut qu’un adulte jeune, ambitieux pour son travail, puisse trouver la force sans s’éreinter de passer la barre de l’H.D.R. (habilitation à diriger les recherches). Il accumule des articles, des posters, des communications à un rythme infernal. Là, malheureusement, la motivation n’est pas toujours de chercher ou même de trouver, c’est de publier le maximum dans un minimum de temps. Pour répondre à ce critère, il apprend vite ce qui est acceptable surtout dans la forme, ce qu’on pourrait nommer comme un abstract correct, un poster correct et un article correct. Ainsi construits, ces travaux risquent de s’essouffler en un temps relativement court, le même que celui qu’il va mettre à être noyé dans le rythme des congrès, des cours, et de l’administration.

 

II – COMMENT CHERCHER EN MEDECINE ?

 

                a – Le double aveugle

La méthode prospective double aveugle contre placébo randomisé n’est plus discutée. Pour les médecins, c’est la seule qui vaille. Elle est de fait très pratique pour accumuler des millions d’articles acceptables aux résultats positifs (P > 0,05) ou légèrement négatifs ou qui n’apportent rien de nouveau. Imaginez l’ingénieur de chez Renault qui doit construire une Twingo le mieux et le moins cher possible. « Monsieur le Directeur, nous allons construire deux chaînes de voiture, l’une sur laquelle le 5ème boulon de la boite de vitesse sera vissé par une clé à pipe, et l’autre chaîne sur laquelle le même boulon sera vissé avec une clé plate. Ainsi, au bout de deux mois, nous verrons laquelle des deux chaînes donne le plus de Twingo au meilleur prix ». Donc, déjà l’industrie a dépassé par les cercles de qualité, l’intéressement, la motivation, ce stade. Elle est au niveau de l’éthique des chartes morales dans l’entreprise et vis-à-vis de ses clients. Sommes-nous moins compliqués qu’une Twingo ? Deux hommes sont-ils aussi semblables que deux voitures ? Les échantillons homogènes de patients sont une belle idée. Même âge moyen, même ratio sexuel, même pathologie, mais ont-ils le même poids, la même taille, la même musculature, la même psychologie, la même mère, la même richesse, le même travail, le même métabolisme, le même foie ?.

 

b – L’échantillon

Si l’on veut une homogénéité, ce ne sont plus 20, 30 ou 50 sujets pris au hasard dans chaque groupe mais plusieurs centaines, ou bien si l’on veut éliminer tout sujet présentant quelques uns de ces paramètres atypiques, plusieurs milliers de sujets à analyser pour n’en retirer que 30. On peut alors se poser la question de la valeur de cette étude qui ne serait réalisée que sur des sujets normalisés. Les autres qui sont exclus de l’échantillon non homogène, quel est-il de la recherche ? Sont-ils des sujets inintéressants au point de ne pouvoir bénéficier de cette recherche thérapeutique ? Relisez les articles des revues parues 5 ans auparavant, et regardez combien, malgré leurs résultats, sont tombés dans l’oubli. Combien surtout sont obsolètes parce que depuis, un paramètre nouveau est apparu dans le déterminisme du problème. Ne pas en tenir compte rend caduque toute l’étude. La vraie recherche c’est celle qui a permis de relever l’efficience de ce paramètre négligé antérieurement.

 

                c – La force des symboles

Une maxime semble être la règle en recherche : chercher toujours dans un domaine où il y a peu de chance de trouver ! C’est en effet la meilleure façon que vous aurez de vous faire reconnaître de vos pères. Il faut avoir comme profession de foi de ne pas les choquer, ne pas les dépasser trop vite, ne pas les reléguer au placard. Ainsi, des domaines entiers échappent à toute recherche, même en double aveugle. Pourtant, dans certains domaines, un minimum de ce travail statistique serait productif. Prenons l’exemple de la chirurgie. La force symbolique de l’acte chirurgical est tel qu’elle paralyse toute critique objective. Soyons plus précis et prenons l’exemple des millions de hernies discales opérées depuis 30 ans, avant de voir que le résultat du traitement est identiques dans les cohortes de patients opérés et non opérés de hernie discale. Combien de temps faudra-t-il encore pour que cet état de fait passe dans nos moeurs médicales, plus enclin à se charger de symboles que de raison. Si une technique est démontrée comme inefficace et obsolète, qu’à cela ne tienne. Quatre variantes existent qui n’ont pas été scientifiquement testées. Ces variantes rendent caduques l’étude antérieure et nécessitent donc quatre autres études d’aussi grande ampleur et suivies aussi sur 5 ans. Ainsi, la machine en double aveugle avec ses cohorte de patients est à nouveau mise en place.

C’est plat et c’est beau (placébo). Le progrès ! Dans 5 ans peut être, si 10 nouvelles conceptions du problème n’ont pas été proposées, on saura qui sont les patients qui ont perdu ou gagné. A cause de cette démarche, les progrès sont toujours plus des cadeaux du hasard que des suites incontournables d’études double aveugle.

Un deuxième exemple en psychiatrie : le nombre d’échelles validées pour mesurer dépression, anxiété, stress est aussi nombreux que celui des auteurs de ces échelles. Peu de ces échelles tiennent compte de la culture, de la religion, du groupe social, des références éducatives, etc…

 

III – DU MULTICENTRIQUE A L’UNIQUE EXCENTRIQUE

Bordeaux, Nice, Brest et Lille se regroupent pour la même étude. Le résultat est intéressant mais une ville s’éloigne par les résultats, beaucoup trop des trois autres. Faut-il l’exclure ?, quel paramètre explique ce fait ? la culture, la population, le Bordeaux, le cidre, la bière ? on ne peut conclure malgré l’énergie et les finances englouties par cette mobilisation nationale, voire internationale. Heureusement, une autre étude va repartir intégrant ce fait atypique. Il semble que toutes les variabilités des populations peuvent ainsi être explorées. On a alors grande chance de ne trouver que le fait suivant : population, culture, climat, nourriture, influence aussi les effets des maladies et des médicaments. « La tour de Babel est un modèle multicentrique vertical mais chaque palier a ses paramètres linguistiques ».

La pertinence interne de ces études nécessite de plus en plus d’argent, pour des réponses peu claires et peu durables tant les paramètres généraux extérieurs à l’étude sont sujettes à des variations aussi grandes que l’échantillon lui-même. La fiabilité de ces grandes études est suspecte car on peut se poser le problème de la saisie des informations. Qui remplit le questionnaire de base, quel est le niveau de sa motivation, quel repère pour lui est important ?

Un Allemand sera scandalisé par la tenue fantaisiste du cahier de protocole français. Un Italien ne pourra comprendre que ce patient Américain ait seulement été sélectionné tant son état et sa forme clinique relève d’une autre grille médicale. La typologie médicale par pays confirme ce fait. Par exemple, pour les Allemands, il y a de l’insuffisance cardiaque partout et pour les Français, c’est la maladie veineuse qui est un gros problème de santé publique (voir consommation des veinotropes).

 

IV – LA FUSION POUR RESTER A FLOT

 

  1. a) La niche thérapeutique

L’industrie finance ces grandes études multicentriques. Elle veut des résultats tangibles donc, ne stimule que des domaines où le marché est vaste. Les niches thérapeutiques sont abandonnées au profit d’études sans risque de changement des grandes orientations de la gamme déjà lancée depuis plusieurs années (plan de production industrielle), des grands thèmes de recherche du laboratoire pharmaceutique, des habitudes de prescription canalisées par le marketing et les prescripteurs, tout ceci rend difficile tout aventurisme dans la recherche thérapeutique.

 

  1. b) Dans les animaleries et les centres de la recherche :

En 1980, un tiers de milliard suffisait pour financer un médicament en 6 ans. En 1996, c’est deux milliards et 10 ans de recherche pour le même résultat. L’asphyxie guette la recherche, donc impose la fusion et la concentration mais diminue la flexibilité. Tout étudiant en première année d’épistémologie de la science sait que celle-ci ne progresse que par la part d’imaginaire de l’esprit du chercheur. Parfois, sur des domaines à priori sans perspective naîtront des recherches productives. Ce risque qui pouvait être pris par un chercheur isolé, ne peut plus l’être par une armée de financiers.

 

                c – Le discours sur la méthode

Le médecin du moyen âge faisait l’exégèse du corpus hippocratique. La forme actuelle des articles scientifiques procèdent à peu près à la même démarche. Seules les citations n’ont pas pour nom Avicenne ou Galien. Pourtant, les références sont nombreuses sur chaque phrase. Ceci est étonnant ! car enfin, l’auteur est honnête, on le croit sur parole. Mais à force de citations, d’études antérieures, on peut se demander combien sont fiables. La teneur de ces citations est de deux types :

soit ce sont des théories, des hypothèses qui viennent renforcer la théorie ou l’hypothèse de l’auteur. La construction du raisonnement sur fond d’hypothèse est donc très instable, bien qu’elle paraisse dans la forme extrêmement granitique.

soit les citations d’études antérieures sont considérées comme acquises. Ceci est très loin de la réalité d’autant plus qu’elles sont anciennes (ont elles été contrôlées ?).

Dans l’ensemble, cet article permet de noyer la véritable avancée qui ne tient parfois qu’en quelques paragraphes dans une fioriture pseudo-scientifiquement rassurante.

Soyons optimiste : la recherche aboutit, son message est clair. Croyez-vous que chacun en tire les conséquences ? Noyés dans un doute originel et dans une marée de résultats, cette recherche n’a plus la force de convaincre. Une découverte ne prend effet souvent que quand le nombre de gens qui l’accepte, et la profondeur de la compréhension de chacun, a atteint une masse critique.

 

                d – Le jeu de dés et le jeu de l’oie

 

Exemple de résultats :

* 70 % des sujets prenant ce médicament actif survivent à 5 ans.

* 25 % des sujets prenant ce médicament placébo survivent à 5 ans.

Pour cette même maladie, il convient sans hésiter de prescrire le premier médicament.

Critique : dans le premier cas, sur 30 % des décès, combien sont dus à l’évolution spontanée et combien d’effets indirects délétères de ce médicament actif (non pas par un éventuel choc allergique ou complications évidentes du médicament actif, mais plutôt par la perte de chance de guérison spontanée à cause de ce produit actif).

Personne ne peut affirmer qu’aucun des décès ne soit imputable à l’action paradoxale antithérapeutique du médicament sur quelques uns de ces sujets étant décédés. Sur ces 70 % de survivants, combien le sont malgré le produit actif « et pas grâce à » ?. Personne ne peut affirmer que sur ces 70 %, il n’y aurait pas eu de guérison spontanée même sans l’aide du produit actif. Sur les 25 % des sujets sous placébo, combien seraient morts s’ils avaient pris le produit actif  ?

Si au lieu du placébo, dans ce groupe, un produit actif avait été testé, un résultat de survie de seulement 25 % eut entraîné l’abandon sans appel de ce médicament vis-à-vis du premier.

Pourtant, sur ces 25 % de survie, on ne peut pas affirmer qu’aucune ne soit à porter au crédit de ce médicament. Statistiquement, ce médicament n’a pas franchi la barre. Il sera donc abandonné, mais avec lui, une voie de recherche risque d’être fermée. N’aurait-elle pas pu ouvrir d’autres voies thérapeutiques ? Son chef de file ayant failli, tous sont condamnés à ne jamais exister.

 

V – LES THEMES ET LES VERSIONS

 

                Les thèmes

Un chercheur non anglo-saxon traduit ses idées en langue étrangère (anglais). C’est une première perte de sens. Si on lui demande de faire une lecture de ses travaux, leurs portées est souvent amoindries par le manque de maîtrise de la langue.

Il envoie ses textes dans une revue anglo-saxonne. Ils sont triés, sélectionnés, jugés par des critères, des mentalités, une pertinence, issus d’une civilisation anglo-saxonne. C’est une deuxième déchéance pour cette recherche.

Conscient de cet état de fait, le chercheur se fait très tôt violence pour passer sous les fourches caudines d’un comité de lecture anglophone. Ceci constitue la troisième contrition.

Le texte est publié, il est bon. Il devient dangereux pour l’hégémonie scientifique en place. Une étude de plus grande ampleur, plus scientifique, plus multicentrique est reprise par de grands chercheurs. C’est souvent à ceux là qu’il vont servir de véritables références. Et c’est le quatrième désenchantement.

Le même texte qui n’utiliserait pas la langue de Shakespeare serait médiocre au départ. C’est le cinquième renoncement.

 

                Les versions

Toute information issue de l’American Journal of ….. est fiable. Le préjugé positif est tel que le lecteur étranger ne prend pas la peine de décoder la découverte. Il ne se pose même pas la question de savoir si elle répond à un problème réel important dans son pays. Il a une solution fondée scientifiquement, venue d’ailleurs, il devrait donc avoir un problème chez lui qui lui correspond. S’il n’existe pas, il créée le problème. Je ne donnerai pas d’exemple, chaque lecteur en fonction de son domaine, doit chercher une situation similaire. Ceci constitue pour la première bêtise.

Le sens du message est souvent mal traduit ou imprécis. On est chercheur, on n’est pas linguiste. Faisons honneur à l’Anglais, c’est aussi une langue pleine de sens. Ceci est la deuxième limite.

L’évident bilinguisme dans la science, fait que les médecins « moyens » finissent par cacher leur incompréhension de l’Anglais qui envahit congrès et même tirés à part des visiteurs médicaux. C’est la troisième hypocrisie.

 

VI – PRESCRIRE OU PRESQUE RIRE !

Heureusement pour le contenu rédactionnel de cette revue, il y a tant de médiocres articles de dossiers d’A.M.M. indigents, de conférences de consensus ambigus, ou la sagacité des rédacteurs peut trouver oeuvre utile. On pourrait imaginer pour le même prix, n’avoir droit qu’aux seules informations susceptibles de modifier efficacement nos comportements de prescripteurs. Une pilule d’or ou un médicament éventuellement utile, qui apporte quelque chose, associée à une conduite à tenir nouvelle, tous les mois, serait peut être garant de l’efficacité pédagogique et de l’ajustement des comportements médicaux. En somme, l’inverse des journaux grand public qui ne parle que de ce qui ne va pas. Une revue médicale devrait scientifiquement faire état de ce qui est scientifiquement à retenir. Ce contenu minimaliste laisserait la place à deux domaines qui sont déjà dans vos rubriques mais encore discrets. Le premier est un domaine pédagogique. Pour mémoriser, pour comprendre, pour synthétiser, pour adapter à chaque personnalité de lecteurs les informations médicales, une attention sur la présentation est indispensable.

L’épistémocritique, c’est la science qui rapproche deux disciplines, les outils de l’une servant à éclaircir les problèmes de l’autre et vice versa. Exemple : les outils de la linguistique appliqués à la sémiologie pourraient peut être lui restaurer un rôle de premier plan.

Revenons un peu sur la pédagogie. La personnalité de chaque médecin est différente. Sa capacité de comprendre, de choisir l’information médicale aussi. Le tout fait que les messages informatifs ne diffusent que lentement et imparfaitement. Ce n’est pas tout de tenir la vérité, encore faut-il la présenter sous une forme accessible à un plus grand nombre. Les lieux d’exercice variés font qu’un généraliste de Neuilly ne peut pas avoir la même attitude face à la maladie et à son traitement que son confrère de banlieue ou de Rodez. Si vous en doutez, sachez que les chercheurs en marketing médical en sont persuadés depuis des années et possèdent des outils efficaces. Il serait parfois judicieux de les approprier pour affiner la pédagogie plutôt que de les railler. Le philosophe dit qu’il y a deux classes de gens, ceux qui comprennent l’art et ceux qui comprennent la critique ; ceux qui comprennent les deux sont trop peu nombreux pour former une classe. Un rédacteur en chef de revue médicale doit chercher cette quadrature du cercle. Mais le remarquable succès de votre revue indépendante montre que de temps à autre, une utopie s’incarne.

Bibliographie : a